J'ai 5 ans

Si l’apprentissage est essentiel sur chemin initiatique maçonnique, le compagnonnage n’en est pas moins décisif. Aussi les symboles et le rituel doivent-ils être correctement appréhendés si l’on ne veut pas que le chemin devienne inextricable. C’est la bonne compréhension qui fait la différence entre le rituel et la théâtralisation, aussi ne soyons pas grand-guignolesque.

Il nous faut travailler avec zèle, constance et régularité, car le compagnon d’aujourd’hui est destiné à devenir le maître de demain. Nous sommes l’initiant et l’initié, aussi nous ne devons compter que sur notre propre capacité à raisonner, déduire, car se sont les clés qui ouvrent notre conscience.

Si c’est en forgeant que l’on devient forgeron, c’est en maçonnant que l’on devient maçon et pour cela, on ne doit pas ménager sa peine.

Depuis sa cérémonie d’initiation, il s’est écoulé quinze ou dix-huit mois ou peut-être même davantage avant que l’apprenti soit proposé à une augmentation de salaire, et faut-il encore que celle-ci soit validée par la réussite de son examen de passage. S’il réussit cet examen, son chemin se poursuivra et on lui fournira d’autres symboles à étudier sur lesquels sa réflexion et sa perspicacité pourront s’aiguiser.


Ces nouveaux symboles ne remplacent en rien les précédents, ils viennent en continuité des premiers. Nombreux sont ceux qui pensent que le compagnonnage est le parent pauvre de la franc-maçonnerie, car pratiquement aucune tenue ne se tient au second degré, si ce n’est une fois l’an pour les augmentations de salaire. Si le contenu de ce degré semble amoindri, c’est parce que, selon certains, il a été scindé en deux pour pouvoir créer le grade de maître qui initialement n’existait pas.


Cependant si l’apprentissage est d’une importance capitale, le compagnonnage n’en reste pas moins décisif.


Nombreux sont les ateliers qui interdisent à leurs apprentis la visite des loges travaillant à un rite différent du leur, car leurs dit-on, il faut comprendre correctement son rite avant de pouvoir le comparer aux autres. Dans d’autres ateliers, cette interdiction s’étend même aux compagnons. Si cela s’avère judicieux pour certains, la généralisation de cette pratique ne l’est pas pour d’autres. La curiosité dans ce domaine n’est pas un défaut, mais au contraire elle s’avère être une qualité qu’il ne faut en aucune manière brimer. La curiosité est un élément décisif sur le chemin initiatique, et sans elle on ne peut faire aucune découverte.


Si l’apprenti s’est familiarisé avec les us et coutumes maçonniques et qu’il a étudié minutieusement le terrain, le compagnon quant à lui va devoir prendre la route en laissant derrière lui, confort et sécurité. L’apprenti était entravé dans ses actions, car il devait être accompagné par un maître dans ses déplacements. Ce n’est plus le cas pour la majorité des compagnons, car le propre du compagnonnage est le voyage et non la sédentarité. Si l’on précise que c’est le cas pour la majorité, c’est que cela n’est pas valable pour l’ensemble des compagnons. Dans certaines loges, les compagnons ne peuvent voyager seuls, il faut qu’eux aussi soient accompagnés par un maître dans leurs déplacements, ce qui est une aberration.

Les compagnons doivent partir seuls avec leur baluchon et se rendre d’une loge à l’autre afin de rencontrer d’autres façons de travailler, et ce faisant, séparer le bon grain de l’ivraie. Ils pourront en principe se rendre où ils le désirent, partout où leur curiosité pourra les mener, à la seule condition qu’ils n’oublient pas d’où ils viennent et qu’ils sachent après chaque visite revenir sur leurs pas. C’est la raison d’être du pas de côté, s’écarter du chemin pour découvrir le monde. Cependant, ils ne doivent pas se perdre dans le monde, ils doivent impérativement revenir chez eux. Le cinquième pas est la signification de ce nécessaire retour. Nombreux sont ceux qui se sont perdus et qui, succombant au chant des sirènes, ont endossé le costume religieux, alchimiste ou kabbaliste et n’ont pas su retrouver celui du franc-maçon.

compagon-franc-macon

Il est bon de souligner que cet ouvrage vient en continuité de celui consacré au premier degré. Dans l’ouvrage précédent, nous avions établi un fil conducteur qui bien évidemment va se poursuivre dans celui-ci, aussi est-il nécessaire d’avoir lu le premier ouvrage si l’on ne veut pas se perdre en chemin.

On ne se livrera pas ici à une comparaison exhaustive des rites au second degré, pas plus que nous en favoriserons un au détriment d’un autre, mais on relèvera et on expliquera les éléments que l’on retrouve chez les uns ou chez les autres et qui alimentent de manière judicieuse le tronc commun à chacun. Dans notre précédent ouvrage consacré au premier degré, nous avions déjà relevé ce tronc commun qui s’animait par l’effet miroir ; les gauchers d’un côté et les droitiers de l’autre qui bien évidemment se poursuit au second degré.

A chaque degré et à chaque version du rite, il existe des indices qui viennent conforter ce tronc commun que le franc-maçon doit déceler ; c’est le propre et la raison d’être des voyages du compagnon à savoir, réunir ce qui est épars. Lors de ces visites, le compagnon doit prêter attention à tout ce qui se passe, au rituel effectué tout autant qu’à l’emplacement des symboles, car dans chaque rite, des subtilités apparaissent

Cependant si un élément particulier l’interpelle, il ne doit en aucune façon le prendre pour argent comptant. Il doit le vérifier, une fois, dix fois, cent fois s’il le faut pour pouvoir le valider, car bien souvent ce qui l’a interpellé une première fois n’est tout simplement dû qu’à une erreur ou un oubli. Au rite Français, la lune doit être à droite en regardant l’Orient, pourtant le plus souvent par méconnaissance, elle est installée à gauche. On voit bien que ce n’est pas parce que le plus grand nombre de loges pratiquent de telle ou telle manière qu’elles détiennent la vérité. Cependant chaque rite apporte un éclairage nouveau et si ces indices s’inscrivent correctement comme les pièces d’un puzzle, on ne peut les ignorer.

Il est à noter également que ce n’est pas l’apprenti, même si certains le souhaitent ardemment, qui demande à être reçu en chambre de compagnon, ce sont les maîtres de la loge et le second Surveillant en particulier qui sont à l’origine de cette demande. L’apprenti ne demande rien, ce sont les maîtres qui estiment que son salaire n’est pas en adéquation avec ses compétences. En ce cas ce n’est que justice que de le rémunérer à sa juste valeur.

Cette augmentation de salaire n’est pas attribuée à l’apprenti pour un travail à venir, mais pour la juste reconnaissance de celui qu’il a déjà réalisé ; cela fait tout de même une différence. A-t-on déjà vu attribuer une augmentation de salaire par avance à un ouvrier ? Même les syndicalistes les plus optimistes ne l’ont jamais envisagé. Il existe un décalage constant dans la manière de procéder que nous avions déjà relevé dans l’ouvrage consacré au premier degré, et il est important d’en faire à nouveau la remarque, car ce contretemps dans nos réflexions et façons de faire se retrouve tout au long du cheminement initiatique maçonnique. Il nous faut l’intégrer afin de le supprimer pour pouvoir être en phase avec la réalité, ou mieux encore, pour que nous ayons un temps d’avance.

Ce décalage qui se retrouve à tous les niveaux est à l’origine des difficultés que nous avons à appréhender le chemin initiatique maçonnique, car il en occulte sa simplicité. Ce n’est qu’une lapalissade de dire : ou bien l’apprenti a fait son temps et par conséquent il possède toutes les qualités requises qui font de lui un aspirant compagnon, ou bien il ne les possède pas et a contrario, il n’a pas fini son temps.

Il est regrettable de constater que bien souvent les augmentations de salaire dans de nombreuses loges sont dispensées à l’ancienneté ou bien pour équilibrer les colonnes ; trop d’apprentis d’un côté et pas assez de compagnons de l’autre. Dans de nombreux cas aussi, les maîtres font rapidement passer les compagnons à la maîtrise pour pouvoir constituer le collège d’officiers et ainsi pouvoir ouvrir les travaux sans aides extérieures. Mais il y a tout de même une différence entre élever un frère ou une sœur à la maîtrise, et posséder les qualités qui lui sont propres. Il n’y a qu’en franc-maçonnerie spéculative que l’on peut accorder une promotion de la sorte, sans que le bénéficiaire ait acquis auparavant les connaissances requises.

Cela est dû au fait que de nombreuses loges ont un effectif restreint et n’ont pas le nombre suffisant de maître leur permettant de fonctionner normalement ; les augmentations de salaire sont alors accordées par nécessité. Cependant, ce point de vue est erroné, car un collège d’officiers constitué de trois maîtres suffit pour ouvrir les travaux.

En effet, trois la dirigent, cinq l’éclairent et sept la rendent juste et parfaite. Il faut, a minima, trois Maîtres qui sont le Vénérable Maître, le 1er Surveillant et le 2nd Surveillant. Deux Compagnons qui occuperont les charges de Secrétaire et d’Orateur et deux Apprentis celles d’Expert et d’Hospitalier. Certains avancent qu’à la place de l’Hospitalier, il faudrait lui préférer celle du Couvreur. Nous ne le pensons pas, car l’Expert non seulement peut se déplacer seul dans le temple et dans le sens qu’il le souhaite, mais qui plus est, étant armé il peut aussi défendre l’entrée du temple.

Si les loges sont nombreuses à présenter un effectif restreint, c’est parce que plus personne ne veut plus faire le moindre effort et que chacun souhaiterait par commodité, que sa loge se réunisse au pied de son immeuble. Pour ce faire, chacun crée son propre atelier qui n’est en fait au départ qu’un triangle , qui bien souvent, n’est pas même rattaché à une obédience. On recrute ensuite à tout va, on accorde les grades, ce qui explique le nombre croissant de loges moribondes et également en partie aussi la misère de l’enseignement symbolique prodigué.

Cet état de fait entraîne inévitablement un manque de rigueur en loge qui est à l’origine de cette déliquescence. On pourrait penser au premier abord que c’est par tolérance que la rigueur est souvent absente en loge, mais c’est faux. Dans la plupart des cas le manque de rigueur en loge n’est toléré que par manque de courage et également pour ménager les susceptibilités. Un recrutement insensé ayant remplacé une intelligente cooptation, le Vénérable Maître et le collège d’officiers sont obligés d’admettre certains comportements s’ils ne veulent pas que les intéressés démissionnent suite à une remarque qui leur est faite.

Plus aucune remarque ne peut être faite sans risque de démission ou bien d’être considéré intolérant, et moins encore vis-à-vis de certains officiers. La susceptibilité est un poison pour la loge tout autant que pour la franc-maçonnerie en général.

Au fil du temps, non seulement la voie maçonnique a été modifiée par ignorance et par prosélytisme, mais qui plus est, la qualité de la farine qui en constitue le pain s’est largement dégradée. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la franc-maçonnerie spéculative soit envieuse de l’image d’excellence que le compagnonnage a toujours su préserver.

Les augmentations de salaire doivent être accordées à bon escient, seul le mérite doit entrer en ligne de compte et non la sympathie que l’on peut avoir avec l’impétrant. La franc-maçonnerie est actuellement ce qu’elle est, parce que l’apprenti susceptible et sans connaissances maçonniques hier est devenu maître orgueilleux et sans connaissances maçonniques aujourd’hui. Comment le maître pourrait-il avec la meilleure volonté s’éveiller et transmettre les qualités et les connaissances qu’il n’a jamais acquises.

La franc-maçonnerie est une voie qui ne peut en aucune manière transformer quelqu’un si celui-ci ne l’a pas empruntée en toute connaissance de cause de sa propre et libre volonté, et s’il n’a pas fait pour cela le travail nécessaire.